Emmanuel

emmanuel ange

Que savez vous de mes douleurs ?

Quand on aime quelqu’un et qu’il s’en va ?

Où vont les gens quand ils sont morts ?

Le monde perd ses couleurs.

Des chemins de vie parallèles qui à un moment donné se croisent, se contournent ou s’entremêlent et puis un beau jour, on se retrouve seul, amputé d’une partie de nous même

Unis comme les doigts de la main. Qui est content de perdre un doigt ?

 

J’aimais le petit voisin, il s’appelait Emmanuel. Il avait 7 ans, il était beau et rieur, ses jolis cheveux couleur auburn brillaient dans le soleil comme des châtaignes. Il avait une couleur de cheveux unique que je n’avais jamais vu chez personne et que je n’ai jamais revu chez quelqu’un d’autre.

C’était le petit fils des voisins de mes grands-parents, il est venu passer plusieurs étés chez eux.

On a vite sympathisé, je l’avais vu la première fois à travers le grillage du jardin. Il jouait sur la balançoire en bois installé par son grand père sur le grand cerisier qui me fascinait. J’avais très envie de jouer à la balançoire et de jouer avec lui. J’avais 6 ans je crois, mon cœur m’a serré quand j’ai eu envie d’être près de lui.

Je me souviens des rires, des jeux dans le jardin et autour de la balançoire, du ciel bleu et du soleil qui nous enveloppait. Le temps semblait s’écouler lentement, dans la joie pure, comme dans une autre dimension.

Je ne me souviens pas si on prenait le goûter ensemble et je ne pourrais jamais savoir car tout le monde est mort, mes grands parents, ses grands parents…et lui, à 20 ans.

De ces scènes et souvenirs il ne reste que moi, avec une part de mon cœur partie avec lui et cette partie de ma vie.

Il partait comme il arrivait, à la fin de l’été. Je ne savais rien de lui, je ne savais même pas où il habitait. Mais j’espérais qu’il reste vivre chez ses grands-parents.

Certaines personnes disent que les enfants ne peuvent pas aimer, moi je sais que si.

J’avais 8 ans quand j’ai eu très froid dans mon cœur. Pourtant il faisait beau dehors, c’était le premier jour des vacances d’été et j’avais couru au fond du jardin pour apercevoir Emmanuel. Il n’était pas là. J’espérais quand même. Mais ma grand mère m’a annoncé que cet été il ne viendrait pas.

Il a fait sombre tout d’un coup, le soleil est devenu froid. J’ai eu envie de crier, de pleurer, de taper le sol de mes poings…mais comme d’habitude j’ai tout gardé pour moi.

J’étais triste, je me sentais si malheureuse.

Je me suis dit que de toutes façons on se reverrait plus tard et que peut-être quand on serait grand on tomberait amoureux et qu’on se marierait, pour peu qu’il me trouve jolie.

Je n’ai pas eu de nouvelles par la suite et je n’ai jamais osé en demander.

Je ne voulais pas gâcher la fragilité de ces moments de grâce avec des questions qui m’auraient apporté des réponses que je n’aurais pas aimé de toutes façons.

Le temps a a passé. A 15 ans j’étais amoureuse mais je ne l’oubliais pas. J’espérais toujours. A chaque fois que j’allais chez mes grands-parents je jetais un œil dans le jardin des voisins, au cas où. J’espérais qu’un jour ils disent « tiens tu sais Emmanuel, le petit fils des voisins avec qui tu jouais quand tu étais petite, il vient cet été ! »…mais ce n’est jamais arrivé.

Je n’avais jamais oublié son sourire, ses rires et ses jolis cheveux mi longs couleur de châtaigne qui dansaient autour de son visage.

Coup de foudre…puis foudroyée. Un jour ma mère m’a dit, j’avais 19 ans :

– Tu te souviens d’Emmanuel, le petit fils de M et Mme L ?’

J’ai bien senti le coup venir, le mauvais coup qui allait me frapper de plein fouet.

Elle m’a annoncé froidement de but en blanc : il est mort.

Je revois exactement la scène. On était à Lorient, on allait voir mes grands-parents. La voiture où je me trouvais, le carrefour, le feu rouge qui passe au vert. Les autres voitures, les gens qui marchent. Un décor de cinéma où tout semble tourner au ralenti tout d’un coup.

Coup de tonnerre dans mon cœur, dans ma tête, mon cerveau fonctionne à 1000 à l’heure…peut-être que je n’ai pas bien entendu.

– Quoi ?

– Il est mort, il a reçu une balle perdue à Paris, à une terrasse de café, un règlement de compte.

 

C’est dégueulasse de mourir à 20 ans !

Injuste. Juste insupportable ! Je ne voulais pas y croire, c’était trop moche.

Par pitié, je vais faire remonter le temps pour ne pas entendre ça, pour le sauver. Lui dire je t’aime depuis la première fois où je t’ai vu chez tes grands-parents. Lui dire combien j’étais heureuse de partager ces moments de jeux et d’amusement avec lui.

Lui dire que j’avais hâte de le revoir, que j’espérais secrètement le revoir chaque été. Que je me serais bien vue mariée avec lui, avec des enfants aussi beaux que lui et moi. Mais c’était trop tard.

A 7 ans Emmanuel riait avec moi dans le jardin de ses grands-parents et à 20 ans il était mort.

20 ans, l’âge du début de la vie d’adulte, de tous les rêves, de tous les possibles, de toutes les folies, de l’amour, de l’amitié, d’infinis horizons de chemins de vie remplis de sons et de couleurs à l’infini…Fini.

Je ne saurai jamais comment a été sa courte vie, ses joies, ses peines, ses doutes et ses espoirs. Comment il était ado, combien de filles il a aimé, le genre d’amis qu’il avait, s’il était drôle ou taciturne…

Quelle était la couleur de ses rêves et s’il y avait une petite place pour moi ?

J’ai gardé pour moi cette douleur et je l’ai enfouie avec les autres, bien au fond de mon cœur.

Par dessus, j’ai mis mes plus beaux sourires et j’ai continué à vivre, en essayant de déranger personne.

Texte : Droits réservés – Autrice Catherine Péron – 2022 

Photo : Banque d’images Pixabay